Cameroun : L’abondance du charbon illégal à Maroua met en péril le couvert forestier de l’Extrême-Nord.

Malgré les mesures dissuasives des pouvoirs publics, les activités de production et de commercialisation du charbon illégal à l’Extrême-Nord ne sont jamais aussi bien portées. Au grand dam des maigres ressources forestières de cette zone qui disparaissent à un rythme inquiétant.

Selon Ndjigba Jean David le Délégué régional du Ministère des forêts et de la faune (Minfof) pour l’Extrême-Nord, l’utilisation du charbon de bois est incontournable dans les ménages de cette aire géographique : « Plusieurs études ont démontré que 90 à 95 % des populations utilisent le bois ou le charbon comme source d’énergie dans les ménages. Vu le faible niveau de vie, les autres  sources d’énergie sont coûteuses et rares » indique-t-il.

Mais dans le souci de préserver les ressources forestières de cette région à écologie fragile, les activités de carbonisation pour l’obtention du charbon de bois ont été interdites depuis 2001 par l’administration.  A titre d’exemple, il faut savoir qu’il faut environ 7 camions de bois frais, pour produire 1 camion de charbon d’après une source locale. Seule la coupe du bois mort est autorisée et réglementée, mais malheureusement très insuffisante pour ravitailler les ménages. « La demande en bois énergie est très importante, ce qui entraîne ces multiples attaques contre les ressources forestières en vue de la carbonisation du charbon.  Tous les 6 départements de la région de l’Extrême-Nord sont concernés par ce phénomène, mais les plus incriminés sont le Logone-et-Chari, le Mayo-Sava, et le Mayo-Kani. Ceci très souvent dans le but de ravitailler le centre urbain de Maroua » renseigne Ndjigba Jean David.

D’après Adama Djouldé, un habitant du quartier Doualaré situé au sud de Maroua « Il y a beaucoup de charbon illégal actuellement à Maroua. Mais il se vend rarement en public. Les différents acteurs se connaissent bien entre eux. Les grossistes font des livraisons aux ménages tard le soir ou de bonne heure quand les services de contrôle de l’Etat ne sont pas actifs. Le charbon vient de tous les côtés, partout ou l’on peu encore trouver quelques forêts » témoigne-t-il.  

Des besoins estimés à 65 000 tonnes de charbon par an

A Kaélé et Moulvoudaye, le charbon illégal ne sert pas seulement pour cuisiner, il est aussi utilisé pour cuire et faire durcir les briques de terre destinées à la construction des maisons.

L’espèce la plus recherchée pour la carbonisation illicite est le Balanites aegyptiaca encore appelée le dattier sauvage, qui possède de multiples vertus médicinales très utiles. Malheureusement ce trésor est aujourd’hui envoie de disparition d’après des naturopathes. Son charbon est très dur et  met du temps pour se consumer.

La demande nationale actuelle en bois énergie est de 6 560 000 tonnes par an, dont 356 000 tonnes de charbon. Cette demande en charbon de bois équivaudrait à 2,5 millions de mètres cubes de bois et 12 500 hectares de forêt naturelle détruite par an. La demande en charbon de bois de la seule région de l’Extrême-Nord est estimée actuellement à environ 65 000 tonnes par an d’après un responsable du Minfof, soit le 1/6 de la demande nationale.

Cette hausse vertigineuse de l’utilisation du charbon illégal serait  liée à plusieurs raisons. Selon Aboubakari, le responsable du marché urbain de bois-énergie de Maroua 1 : « Aujourd’hui, tout le monde connaît et consomme le charbon, qui s’est progressivement imposé dans les ménages. Avant, on ne connaissait que le bois de chauffe, pas le charbon. Sur le plan économique, il  y a aussi des avantages car avec un sac de charbon de 10 000 F CFA, un ménage peut l’utiliser pendant un mois, alors qu’avec du bois dans la même période, il va dépenser 3 fois le prix du sac de charbon » explique-t-il.

La pression démographique amplifie le phénomène

Pour le Délégué régional du Minfof, ce phénomène a pris plus d’ampleur ces dernières années, à cause de l’insécurité qui a entraîné des déplacements des populations, avec l’arrivée de nombreux réfugiés et déplacés internes. « Dès que ces personnes s’installent nouvellement quelque part, c’est d’abord aux ressources forestières qu’elles s’attaquent soit pour construire un abri, soit pour faire un champ. En attendant que le champ produise, la première activité pour la subsistance à laquelle ils s’engagent très souvent est la coupe de bois pour produire le charbon car cela n’exige pas un grand capital. Même le parc national de Waza n’est pas épargné » témoigne-t-il. 

La pression démographique de plus en plus forte dans des villages ordinaires n’est pas aussi étrangère à cette flambée : « Les chefs de quartiers ou de villages sont obligés d’octroyer des espaces aux populations pour l’extension des champs,  et celles-ci  en profitent pour abattre les forêts aux fins de produire du charbon illégal » explique Adama Djouldé.

Les services du Minfof utilisent plusieurs moyens de lutte pour s’adapter ou tout au moins atténuer le phénomène, notamment la sensibilisation et la répression. Aidés en cela par la Loi n° 94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche et ses textes d’application, en ses articles 154, 155 et 156 pour sanctionner les fraudeurs en cas de saisie du charbon.

Des initiatives pour d’endiguer la situation.

Mais ce combat ne semble pas encore fructueux pour de nombreuses raisons. D’après Segnou Dessap, le responsable forêts du Minfof dans le département du Diamaré : « La population qui a tellement besoin de cette ressource là pour survivre, se retrouve dans une situation ou l’on leur demande de ne plus consommer mais il n’y a pas d’autre alternative que l’on leur propose à l’immédiat. Et il est difficile de maîtriser d’un coup tous ces trafiquants car la région  est jalonnée de beaucoup de pistes, et les frontières sont  poreuses » explique-t-il.

L’on déplore aussi le manque ou le peu d’implication ou de collaboration des autres forces de maintien de l’ordre que sont la police, la gendarmerie et l’armée. « Le charbon qui sort parfois de Kousséri, vient en complicité avec les militaires. Au retour des missions sécuritaires sur le terrain, ils ramènent du charbon soit pour le revendre à Maroua  à leur voisinage ou pour l’utiliser dans leurs ménages. Les gendarmes et les policiers devraient venir en appui au  Minfof, malheureusement une fois qu’on leur tend la main, c’est fini. Même parmi les agents du Minfof, il y a des brebis galeuses » s’indigne une source ayant requis l’anonymat.

Aboubakari quant à lui réclame avec force l’implication du ministère de l’administration territoriale « Si ce département ministériel décide de mettre la pression sur les chefs traditionnels pour qu’ils mettent fin cette activité dans leurs villages respectifs, cette situation va s’arrêter. Cette affaire ne doit plus être le seul problème du Minfof » propose-t-il.

Sauver ce qui reste des forêts de l’Extrême-Nord

Le Minfof œuvre en amont pour le renouvellement des ressources forestières dans la région, en finançant les activités de reboisement dans les communes et chefferies traditionnelles, par l’entremise des Ong, des associations et des particuliers. Il met des moyens sous forme de BIP octroyés aux communes pour le reboisement des superficies allant de 20 à 100 000 hectares. Au niveau local, l’agroforesterie est promue. Les communes sont accompagnées dans la création des forêts communales, et les communautés dans la création des forêts communautaires pour que les forêts soient gérées de  manière participative, soutenue et durable.

«Des partenaires techniques et financiers de l’Etat à l’instar de la Giz s’activent pour mettre en place un système de ravitaillement de la région de l’Extrême-Nord en charbon de bois légal issu des rebuts des scieries provenant de la région de l’Est » complète  Ndjigba Jean David.

Concernant ce dernier volet d’appui, deux initiatives pilotes ont été menées en partenariat avec le Réseau des charbonniers des concessions forestières de l’Est (Rechacofest) en 2018 et 2019, mais elles ont malheureusement été plombées par le coût élevé du transport et la parafiscalité. « Il faut au moins 2 millions de  F CFA pour louer un camion de la région de l’Est jusqu’ici à Maroua. Il y a aussi la parafiscalité qui tourne autour de 350 000 F par camion, C’est énorme » s’offusque Aboubakari dont le groupe a acheté des centaines sacs de charbon légal, qui restent bloques à Mindourou dans la région de l’Est par faute de moyens financiers pour les faire transporter jusqu’à Maroua. Selon lui, il faudrait que l’Etat subventionne le transport du charbon légal venant de la région de l’Est pendant un an au moins pour que cette initiative puisse porter des résultats probants.

Même son de cloche pour Adama Djouldé « Il faut que l’Etat, s’il veut sauver ce qui reste des forêts de l’Extrême Nord prenne véritablement les choses en main. En subventionnant certaines charges pour que le charbon légal venant de la région de l’Est soit vendu mois cher que le charbon illégal » propose-t-il.

Irénée Modeste Bidima

Avec le soutien du Rainforest Journalism Fund Pulitzer Center.

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