Le Cameroun ambitionne de doubler sa production annuelle de cacao pour atteindre le cap de 600 000 tonnes d’ici 2030 grâce à la fertilisation chimique. Ceci sur la base d’un partenariat entre le gouvernement et l’Office chérifien des phosphates (Ocp). Une option qui n’est pas entièrement partagée par d’autres acteurs de la filière qui mettent en avant les risques d’atteinte à la qualité du cacao et à l’environnement.
La production annuelle des fèves camerounaises stagne autour des 250 000 tonnes depuis belle lurette et cette décision semble sonner le glas à cette léthargie. Selon une étude de l’Ocp et du ministère camerounais de l’Agriculture et du Développement Rural (Minader), restituée récemment à Yaoundé, la fertilisation des sols contribue à une augmentation optimale du cacao. Thèse qui est soutenue par le chercheur Ze Mvondo Antoine : « en utilisant les engrais sur les cacaoyers, on augmente le rendement parfois de près de 200%. Ce sont les éléments contenus dans le sol qui nourrissent les cacaoyers. Et au cas où le sol en est dépourvu, il est primordial de le fertiliser pour augmenter le rendement», explique-t-il. L’on a également appris au cours de cette rencontre que des études ont été menées pendant 3 ans dans huit régions du Cameroun. D’après le responsable de département ministériel Mbairobe Gabriel : « ces études ont permis de faire des tests grandeur nature sur le terrain pour voir l’apport des fertilisants sur les plants de cacao. Les conclusions montrent non seulement qu’il y a un gain en productivité, mais aussi en rendement de l’ordre de 150 à 300% par hectare» argumente-t-il. Il a été également mentionné comme avantage supplémentaire que ces engrais permettent au cacao de résister aux effets néfastes des changements climatiques.
Pour Simon Bassanaga un expert de la filière, cette mesure arrive à point nommé : « C’est une bonne nouvelle pour moi. Il faut surtout dire que le Cameroun n’est pas à sa première expérimentation de fertilisation du cacao. Notamment à travers le projet d’appui à l’utilisation des engrais dans les filières cacao et café financé par le Fodecc. Mais les résultats n’ont pas été probants car malgré les énormes moyens consentis, la production a continué de stagner. J’ai participé en tant que chercheur à des essais sur le terrain à Zoétélé, Akomnyada et Muyuka et les résultats ont été très satisfaisants » affirme t-il.
«Les engrais marocains après le suivi d’un bon itinéraire technique donnent au minimum 25 cabosses par pied de cacaoyer sur de vieilles plantations ce qui équivaut à 1 kg de cacao marchand. Ce qui veut dire que si j’ai 1000 pieds de cacaoyers à l’hectare, cela va me donner 1 tonne de cacao marchand à l’hectare » soutient Simon Bassanaga.
Le partenariat avec l’Ocp a permis la construction d’un laboratoire d’analyse des sols inauguré en début d’année à Yaoundé, la formation de 5 cadres camerounais sur l’analyse des sols au Maroc, et la dotation d’un matériel roulant mobile bien équipé qui va aider à l’analyse des sols de proximité, localité après localité. Les engrais seront prescrits aux cacaoculteurs en fonction des sols qu’ils disposent. A très terme, une carte de fertilité des sols sera élaborée.
Une erreur stratégique d’après un cacaoculteur
Erick Eloundou cacaoculteur basé à Ayos une localité située à 120 km à l’Est de Yaoundé, n’adhère pas à la nouvelle donne : « les engrais chimiques vont affecter la qualité de notre cacao. Un produit chimique affecte le goût du cacao parce qu’il affecte le sol. C’est le sol qui donne le goût au cacao et à partir du moment où tu ajoutes les produits chimiques au sol, cela aura des répercussions sur la qualité. » Indique-t-il. Pour lui, il faudrait plutôt privilégier la fertilisation naturelle qui fait aussi ses preuves en adoptant des pratiques agro écologiques, les plantes de couverture bio fertilisantes, le compost, les mycorhizes, etc. D’après Erick Eloundou, il faudrait plutôt mettre en avant le cacao fin : « Pendant que le Cameroun veut fertiliser son cacao, le monde va plutôt dans le sens inverse. Le cacao fin occupe actuellement les 5% du marché d’après les statistiques de Chocoa, un grand forum sur le cacao, mais ce segment est en pleine croissance. En choisissant de fertiliser le cacao avec les engrais, les pouvoirs publics mettent l’accent sur la quantité mais sur une moins bonne qualité du cacao produit à mon avis. Et c’est une erreur stratégique d’après moi car de plusieurs pays le font déjà mieux que nous, ont des années lumière d’avance là-dessus. Pourquoi donc faire la même chose ? Même avec 600 000 tonnes de commodités (cacao de qualité approximative), on sera toujours loin des ivoiriens. Or si nous réussissons à avoir 600 000 tonnes de cacao fin en vendant par exemple le kg à 2000 F CFA au lieu de 800 F CFA, alors là on aura véritablement gagné. » Insiste-t-il. Le cacao du Cameroun est particulier de par sa couleur rouge brique et ses qualités organoleptiques. Pour Erick Eloundou, il est important de garder ses spécificités.
Effectuer d’autres études plus approfondies sur la qualité et les impacts
Des appréhensions sont également perceptibles au sein de la Confédération nationale des producteurs de cacao du Cameroun (Conaprocam). Pour Koundi Alexis son président qui est cacaoculteur à Awaé à 50 km de la capitale, il ne faut pas aller vite en besogne : « Nous ne sommes pas contre cette initiative, mais il est important que d’autres études plus approfondies soient faites pour évaluer l’impact lointain de ces engrais avant leur homologation et leur utilisation. Nous aimerions être rassurés sur la qualité du cacao qui sera produit, la santé des producteurs et des consommateurs et enfin sur la préservation de l’environnement. Il est de notoriété que les engrais chimiques acidifient les sols et polluent la nappe phréatique et les rivières. Il ne sert à rien de produire plus si c’est pour se détruire. Avec les engrais chimiques, il y a beaucoup de précautions que l’on doit prendre. Il faudra accompagner ce processus avec des formations adéquates qui vont nécessiter beaucoup de moyens. C’est tout cela qui suscite des interrogations » plaide-t-il.
Sonkoué Géraldine la directrice de cette plateforme de cacaoculteurs relève un autre aspect : « Nous avons remarqué que beaucoup de producteurs de cacao sont réticents sur l’utilisation des engrais chimiques. Pour eux le cacaoyer est une culture pérenne où l’on ne doit pas prendre de risque, qu’il faut toujours bien préserver ce patrimoine intergénérationnel. Ce n’est pas comme la culture du maïs qu’on peut rater sur une campagne, et se rattraper sur une autre. On s’est rendu finalement compte que les premiers engrais qui étaient distribués par l’Etat pour fertiliser les cacaoyers n’étaient pas utilisés dans la cacaoculture, mais étaient plutôt orientés sur des cultures maraîchères ».
Malgré les assurances des décideurs, l’utilisation des engrais chimiques en cacaoculture est pour l’instant loin de faire l’unanimité au Cameroun.
Irénée Modeste Bidima