Bassin du Congo : Les moyens de subsistance des ruraux menacés par les irrégularités des pluies et des cours d’eau.

D’après des chercheurs du Centre pour la Recherche Forestière Internationale (Cifor), les populations vivant dans les forêts du bassin du Congo ont remarqué d’importants changements dans leur environnement naturel aux cours des 20 dernières années, ayant pour conséquence la diminution de leurs moyens de subsistance.

Des recherches de terrain ont été menées dans 3 zones du massif forestier notamment  sur ans les bassins versants des rivières So’o au Cameroun et Mpoko en République centrafricaine (RCA), ainsi qu’auprès des populations de Masako dans les faubourgs de Kisangani en République démocratique du Congo (RDC) entre 2008 et 2010. L’équipe de Denis Sonwa, chercheur du CIFOR basé au Cameroun était composée des scientifiques de l’université de Yaoundé, de l’université de Bangui et de l’université de Kisangani. L’exploitation des données préexistantes, et des entretiens menés avec les populations locales a été déterminante.

L’équipe de scientifiques a compilé les données sur la base des tendances observées en matière de températures, de précipitations, de débit et de qualité de l’eau afin de déterminer les conséquences sur les moyens de subsistance et l’économie locale.

Il est clairement apparu que dans le bassin versant de la rivière Mpoko, le nombre de chenilles avait chuté de façon spectaculaire en 2009. De plus, les insectes, principale source de nourriture dans les villages locaux, sont apparus plus tôt que d’habitude cette année, et étaient non seulement plus petits mais avaient aussi une espérance de vie plus courte. Ainsi, les ménages vivant dans la savane boisée ont récolté en moyenne 20 kilogrammes de chenilles contre auparavant 145 kilogrammes, ce qui représente une perte de 86,2 %. Les chercheurs ont appris que la disponibilité en champignons a également dégringolé dans la région pour cette même année. Ainsi, les ménages ont en moyenne récolté 10 kilogrammes de champignons contre auparavant 85 kilogrammes, ce qui représente une baisse de 88,2 %.

Une augmentation moyenne de 3 % de température par décennie

En outre, les pêcheurs se sont plaints d’une chute spectaculaire des réserves en poissons le long de la rivière Mpoko, petit affluent de la rivière Oubangui, elle-même affluent majeur du fleuve Congo.

D’après les scientifiques qui ont publié leurs conclusions dans la revue Sustainability, la température annuelle moyenne dans le bassin versant de la rivière Mpoko a augmenté d’environ 1 degré, passant d’environ 26 degrés Celsius à un peu plus de 27 degrés Celsius entre 1990 et 2015, ce qui représente une augmentation moyenne d’environ 3 % par décennie. Ainsi, la saison des pluies commence maintenant plus tôt, et davantage de pluie tombe en décembre, alors que le mois de février est désormais généralement sec. « Ce genre d’irrégularité est maintenant caractéristique de la région, et conduit souvent à de piètres récoltes », a commenté D. Sonwa.

Les scientifiques ont recueilli un témoignage similaire dans le bassin versant de la rivière So’o, où les températures annuelles d’environ 24 degrés Celsius en 1980 ont augmenté en moyenne d’un demi-degré à un taux d’environ 1,7 % jusqu’en 2010. Les moyennes des précipitations fluctuent en fonction des saisons pluvieuses et humides, et environ 75 % des personnes ont déclaré aux scientifiques avoir été affectées.

« Le bassin versant a connu des perturbations climatiques, qui influent sur le début de la saison des pluies et la quantité de précipitations, dégradant ainsi le cycle de l’eau », a déclaré D. Sonwa avant de poursuivre : « Cela a conduit à une diminution de l’approvisionnement en eau, ce qui a été préjudiciable pour l’agriculture, et a réduit la biodiversité aquatique, notamment les réserves en poissons ».

Réduction de la qualité de l’eau à Masako

D’après les recherches, la réserve forestière de Masako a également connu une diminution des chenilles, des escargots, des champignons et des fruits sauvages. De plus, à Masako, la température annuelle moyenne de 24,5 degrés Celsius (entre 1971 et 2001) est passée à 27,3 degrés Celsius à partir de 2001. Dans l’ensemble, sur une période de 30 ans, les précipitations ont diminué de 48 millimètres, et la température a augmenté de 2,8 degrés Celsius. Dans cette région, les agriculteurs ont indiqué qu’une saison plus longue et plus sèche avait entraîné une baisse de la production agricole, aquatique et forestière.

« Dans cette région, nous avons constaté que le rythme des espèces agricoles a été bouleversé en raison de leur incapacité à se reproduire à des températures plus élevées ou à cause d’un manque total d’eau là où les rivières se sont asséchées », a déclaré D. Sonwa.

La réduction de la qualité de l’eau à Masako est une autre conséquence du réchauffement et de l’assèchement de la région, alors que le cycle de l’eau devient plus instable à cause du changement climatique. En effet, les sources sont souvent polluées et abandonnées en raison de la dégradation forestière causée par la proximité des fermes et des ménages.

Cette perte forestière signifie que les femmes et les enfants doivent parcourir de longues distances à pied, souvent deux fois par jour, pour récupérer et transporter des récipients d’eau potable issue de sources naturelles forestières, et pesant 20 kilogrammes.

« Nous avons observé que le cycle de l’eau dans les forêts change progressivement à son tour. L’écologie, la biodiversité et les moyens de subsistance tributaires des ressources sont négativement impactés », a noté D. Sonwa avant d’ajouter : « Nos conclusions confirment ce que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations Unies a déjà signalé, à savoir qu’en Afrique, les précipitations tropicales diminuent ».

Le Bassin du Congo contient 30 pour cent des ressources en eau douce du continent

Citant plusieurs sources, les scientifiques du CIFOR indiquent dans le document que les projections à long terme prévoient une diminution des précipitations de 17 % d’ici 2090. Moins de pluies entraînera une diminution du débit des eaux de surface et souterraines, alors que les bassins versants génèreront moins d’eau pendant les périodes de faibles pluies.

Ces changements au niveau de l’eau potable, de l’agriculture et des produits forestiers non ligneux, ont des conséquences négatives pour la sécurité alimentaire et la santé, soulignant donc la nécessité de traiter l’adaptation au changement climatique au niveau des bassins versants comme un défi multisectoriel.

« Le manque d’infrastructures de développement rend la population plus vulnérable », a souligné D. Sonwa.

Situé dans l’ouest de l’Afrique équatoriale et s’étendant sur six pays, le bassin du Congo abrite près de 100 millions de personnes. Le fleuve Congo et ses petits affluents d’eau douce traversant la région, constituent environ 30 pour cent des ressources en eau douce du continent, assurant ainsi l’équilibre hydrique climatique à l’échelle locale et régionale. Les scientifiques du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) estiment que jusqu’à 95 pour cent de la pluviometrie provient du recyclage de l’humidité des forêts de la région.

Irénée Modeste Bidima

 

 

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