A bâtons rompus avec Sa Majesté Ipoua Robert Olivier, maire de Campo au sujet du projet Camvert.
Comment avez-vous accueilli l’arrivée du projet Camvert, quand l’on sait ce qui se passe ailleurs avec certaines agro industries?
Pas bien. J’étais presque le seul qui était contre ce projet. J’ai été très virulent contre cette agro industrie. J’avais exprimé ce sentiment devant le préfet et même pendant les réunions préalables au lancement de ce projet, j’étais contre cette initiative. J’étais un peu seul contre tous alors que j’agissais en tant que maire et chef de groupement Ilyassa. Donc je représentais quand même une bonne partie de la population. A un moment c’était devenu comme un problème tribal. Ceux qui occupent les grandes forêts c’est-à-dire les Mvae disaient que c’était leur projet et que je n’en voulais pas parce que je n’étais pas Mvae. Mais je campais sur ma position, connaissant ce qui se passe ailleurs où c’est très souvent la désolation totale. On se rend compte que ces projets rapportent beaucoup d’argent à l’état, et pas grand-chose pour les populations. Mais l’on m’a fait savoir qu’il fallait tenir compte de la situation actuelle de Camp où il n’y a aucune industrie depuis le départ de Wijma, les frontières avec la Guinée Equatoriale sont fermées, il n’y a pas de boulot, comment faire ? Il fallait se rendre à l’évidence que cela pouvait peut-être aider Campo. Et quand j’ai été mis au courant des superficies à exploiter, j’ai trouvé que cela était énorme. 59 000 hectares, ce n’est pas rien en voyant les 2500 hectares déjà aménagés. Moi j’avais une autre vision pour la commune de Campo, celle d’une ville moderne et touristique où l’on avait beaucoup à faire s’il y avait la volonté politique de nous aider dans ce sens. Parfois nous parlons dans le vide et on a l’impression que personne ne nous écoute. On est obligé de prendre ce qu’il y a sous la main pour l’intérêt des populations en ce disant pourquoi ne pas essayer. Finalement j’ai dû réviser ma position.
Et que s’est-il passé par la suite ?
Camvert nous a présenté beaucoup de garanties, nous avons discuté du cahier des charges de chaque entité. La commune était là et nous sommes décidés à le faire appliquer à la lettre, nous avons mis sur pied une commission de suivi. Au vu de l’évolution des activités sur le terrain, je peux dire que je ne regrette pas d’avoir finalement changé d’avis parce que je vois ce que Camvert est en train de faire. Nous avions ce sempiternel problème de la route qui ne coupait du reste du Cameroun. C’est Camvert qui entretient cette route aujourd’hui, les habitants se déplacent plus facilement pour Kribi grâce à Camvert, le petit commerce fonctionne, bref il y a une embellie divers niveaux.
Avant le début de ce projet, il y’a eu les dénonciations des médias, des Ongs locales et étrangères contre la déforestation, la destruction de la biodiversité et la spoliation des droits des communautés. Aujourd’hui, les faits semblent leur donner raison. Les animaux partent du parc national de Campo-Man et viennent détruire les champs des riverains, les sites sacrés sont détruits, etc. Que dites vous à ce sujet ?
Vous savez, les populations sont versatiles. Ces communautés qui se plaignent aujourd’hui, ce sont elles qui s’opposaient à moi hier et disaient que ce projet était une manne pour elles malgré tout ce qu’on tentait de leur expliquer. Aujourd’hui elles sont en train de voir ce qui se passe, mais je ne dirais pas que c’est bien fait pour elles. Quelque part je pense que c’est parce que qu’il manque parfois de l’objectivité dans nos prises de décisions quand nous débattons entre nous. C’est toujours le tribalisme qui est mis en avant. On nous a dit de ne pas nous mêlez de cela parce que ce projet n’est pas pour nous les Ilyassa qui sommes du côté de la mer. Que nous devions nous occuper des problèmes de la pêche, etc. Personne ne pouvait ignorer qu’en déboisant cette forêt, les bêtes allaient se retrouver derrière les maisons. On s’est évertuer à le leur expliquer avant, mais personne ne voulait entendre raison, c’était une utopie de penser le contraire. On en avait parlé. Il ne faut pas que cela soit aujourd’hui comme quelque chose de nouveau. Elles peuvent parler ainsi aujourd’hui parce qu’il y a les animaux. Avant que les animaux n’arrivent, tout le monde était d’accord puisque tout le monde a signé. A mon avis, il faudrait plutôt bien définir aujourd’hui le système de compensation. Discuter avec Camvert et les autres parties prenantes pour voir comment cela peut être effectif.
Qu’est ce qui sera fait contre la pollution de la mer qui est si proche du lieu du projet ?
Pour le problème des déchets qui risquent de partir des plantations en direction de la mer, une société italienne va s’occuper de la collecte et du traitement de ces déchets. Je les ai reçus il y a quelques jours. Ils vont signer un contrat avec Camvert. C’est une société qui est spécialisée dans ce domaine, et qui va utiliser ces déchets autrement. Cette entreprise va bientôt s’installer à Campo, et je leur ai demandé de faire très vite pour calmer les populations d’Ebodje qui tiennent absolument à préserver les tortues marines et c’est normal qu’ils veuillent les défendre.
Pourquoi le cahier de charges semble secret, inaccessible. Nous l’avons demandé aux chefs de village, et ils disent ne pas l’avoir à sa disposition ?
Les chefs étaient tous là quand nous signions ce cahier de charges. Ce sont mes frères, je les connais tous. Lorsqu’une réunion est organisé par Camvert, ils sont tous là parce qu’il y a des perdiem. Mais quand c’est moi le maire qui les appelle, ils ne viennent pas parce qu’ils ne sont pas sûrs d’en avoir. Et c’est ce jour là qu’on a distribué les cahiers de charges. S’ils en veulent, ils n’ont qu’à venir les chercher à la mairie. Nous en avons suffisamment multiplié.
Il y a également un souci en ce qui concerne la question foncière. Une autre grande préoccupation des communautés est la préservation de leurs terres pour continuer à pratiquer l’agriculture face à cette grosse agro industrie qui se met progressivement en place ?
Il ne faut pas que les gens racontent n’importe quoi. On n’a jamais eu de grandes plantations chez nous. Cela a toujours été l’agriculture de subsistance derrière les maisons. C’est Camvert qui veut plutôt nous amener à pratiquer l’agriculture sur de grandes superficies. C’est dans le cahier de charges. Camvert a demandé à chaque village de choisir un espace où nos communautés vont mettre en place des grands champs communautaires, des cultures diversifiées sous le financement et l’accompagnement de Camvert. Et toute la production appartiendra aux villageois. Chaque chef de village est chargé de montrer un site pouvant aller jusqu’à 10 hectares. Et nous avons encore suffisamment des forêts pour faire nos propres plantations. Il se passe aussi que les communautés se sont partagés les terres du village entre les familles. Pensant que lorsqu’on nait dans un village, l’on est propriétaire de toutes les terres de ce village. Et aujourd’hui ils les vendent aux particuliers, oubliant que toutes les terres appartiennent d’abord à l’Etat. Ils sont en train de tout brader. Ils vendent jusqu’à des centaines d’hectares pour ne rien en faire à la fin avec l’argent perçu.
Comment se passe la politique de recrutement ? On a constaté jusqu’ici que ce sont des ressortissants d’autres localités du pays qui travaillent pour le projet Camvert et presque pas des riverains?
Le projet n’est encore qu’à sa première phase, et je pense à mon avis que les gens ne doivent pas s’impatienter. Nous veillons sur cet aspect avec Camvert. Ils ne peuvent pas encore commencer à embaucher tous azimuts car la production n’a pas commencé. Pour le volet technique de l’entreprise, Camvert va mettre en place une école des métiers pour former nos jeunes avant de les employer. Ceci figure dans le cahier des charges. Pour les postes plus élevés au sein de cette entreprise, c’est le profil et la compétence qui vont primer.
A quand le début des plantations villageoises de palmier à huile ?
Elles sont déjà lancées. 5000 hectares sont prévus pour cela. Camvert attend que les communautés lui montrent les sites retenus. Pour les villages qui l’ont déjà fait, ces parcelles ont déjà été déblayées et les travaux ont débuté. C’est des plantations qui appartiendront entièrement à ces communautés. Camvert va les accompagner jusqu’à la production et sera leur client.
Comment entrevoyez l’avenir de la ville Campo ?
Ma vision de faire de Campo une ville touristique et moderne a changé avec l’arrivée du projet Camvert. Campo s’oriente désormais vers une ville industrielle. Il n’est pas exclut que d’autres entreprises s’installent à l’avenir. Nous avons tenu une réunion il y a quelques jours à la présidence de la république avec le PCA et le directeur général de Camvert, moi-même, un haut responsable de cette institution et ses collaborateurs. Il s’est dit au cours de cette réunion que les 59 000 hectares octroyés au départ à Camvert sont exagérés, et ce haut responsable de la présidence de la république a proposé que l’on réduise cette superficie. Le PCA de Camvert s’y est opposé argumentant que cela allait poser problème avec leur partenaire financier, car le business plan ayant été effectué et présenté pour les 59 000 hectares. Il a été convenu que pour le moment cette superficie attribuée à Camvert soit provisoirement maintenue. Mais que si toutefois une autre grande entreprise voulait investir à Campo, l’espace qui lui sera désigné sera retranché de celui de Camvert. Une chose est quand même certaine, ce ne sera pas facile pour Camvert d’occuper tout l’espace qui lui a été accordé par l’Etat. Quand on voit ne serait-ce que les 2500 hectares qui ont déjà été emménagés. 59 000 hectares, c’est énorme mais ce n’est pas impossible quand on voit ce qui a été réalisé au Gabon.
Propos recueillis par Irénée Modeste Bidima